Un peu de Pierre et de Paul

Récemment, je lisais un article sur le blog américain de « The Integrated Catholic Life » où l’on présentait les différences et les points communs entre des personnages de la Bible, mais également des personnages de fiction. L’auteur y présentait, entres autres, Saint Pierre et Saint Paul. En parlant de Pierre, il disait qu’il venait d’un petit pays (la Galilée) duquel on attendait peu et dont on pouvait repérer les habitants à leur accent facilement identifiable. En revanche, il présentait Paul comme un cosmopolitain, ayant fait de bonnes études, ayant beaucoup voyagé et, qui plus est, étant citoyen romain. Ayant fait de bonnes études et ayant voyagé et vécue dans plusieurs pays, j’aurais pu me sentir comme Paul. Pourtant, mon accent continue de me trahir chaque fois que j’ouvre la bouche et le complexe de la classe moyenne au passé agricole et ouvrier hante encore bien des québécois.

En ces jours précédents l’élection papale, avec un papabile québécois, les médias sociaux et les journaux ne manquent d’ailleurs pas de nous le rappeler. Les français ont déjà commencé à rire de l’accent. Les américains ont déjà dit que les canadiens avaient une tête trop sympathique pour faire quoi que ce soit de sérieux. Les canadiens anglais riront du fait que c’est un canadien français. Et les québécois ? Un peu à la manière de l’apôtre Nathanaël qui s’exclame : « De Nazareth ! Peut-il sortir de là quelque chose de bon ? (Jean 1, 46) » lorsque l’apôtre Philipe lui annonce avoir trouvé le messie, celui qu’on attendait, en la personne de Jésus de Nazareth, les québécois, se demanderont : « que peut-il sortir de bon de La Motte en Abitibi ? ». En effet, comme le dit François Bourque du Soleil, un quotidien de Québec : « Tous les chemins mènent à Rome, mais un seul à La Motte ».

La Motte, un petit village de moins de 450 habitants, ne comptant ni hôtel ni restaurant et dont les « villes » les plus près sont à 30 minutes de voiture. Un village où Marc Ouellet sera toujours ti-Marc, et où un ancien ami d’enfance croit que plus Marc Ouellet progresse dans l’Église, plus ça leur fait de choses à ce raconter lorsque celui-ci passe une fois ou deux par année et qu’ils en profitent pour regarder un bon match de hockey des Canadiens de Montréal et puis, il aimerait bien dire à ses petits enfants qu’il a déjà joué au hockey avec le Pape. Sauf que cette fois-ci, les visites au village ne seront probablement plus possible. Un petit village donc, au milieu de l’Abitibi, cette Abitibi de forêts ravagées par l’industrie forestière et minière. L’Abitibi de l’erreur boréale de Richard Desjardins. Une région, où dans les années 50, le troisième de huit enfants d’une famille d’agriculteurs, avait très peu de chance de faire de longues études et de devenir polyglotte.

Preuve que c’est un bon ti-gars bien de chez nous, on nous raconte que c’est suite à une fracture de la jambe, au cours d’un match de hockey, que Marc Ouellet aurait pris conscience de sa vocation. Sans médecin dans la région et avec sa jambe rafistolée par une « soignante » d’un village avoisinant nommé Le Buisson, il aurait mis plusieurs semaines à se remettre. Semaines au cours desquels une lecture approfondit de L’imitation de Jésus-Christ et de Saint François de Sales aurait eu sur lui l’effet d’un buisson ardent et l’aurait convaincu d’entrer au séminaire. Un choix déchirant puisque son père lui aurait plutôt demander de travailler afin de payer des études aux plus jeunes de la famille. Confiant en Dieu, il se dit que s’Il le veut prêtre, Il trouvera le moyen de faire étudier ses frères et soeurs. Toute la famille fera finalement des études.

Symptôme d’un Québec qui n’y comprend plus grand chose, on nous parle de hockey, d’un homme tellement près des gens qu’on l’appelle encore ti-Marc, on nous parle d’un parcours de combattant pour passer du Québec rural, autrement dit de nul part, à la place Saint-Pierre presqu’au centre du monde, mais on nous parle peu de religion, encore moins de foi, sinon pour relater le passage désastreux de Mgr Ouellet à l’archevêché de Québec, désastreux pour qui et pourquoi ? Même si son plus proche collaborateur s’accorde pour dire que le passage de Mgr Ouellet à Québec a été plutôt houleux, cet article peut nous éclairer sur les raisons. Revenir au Québec après 30 ans en Amérique du sud, à Rome et dans l’ouest canadien, c’est avoir manqué la révolution tranquille, celle-là même qui a vidé les églises. Impossible alors d’être en phase avec la population, encore moins avec les médias. Si on ajoute à ça l’absence d’expérience comme évêque auxiliaire, ne manque plus que le chauvinisme bien propre à la capitale. Vous avez dit un p’tit gars de l’Abitibi ? Et l’on revient à la question du début, que peut-il sortir de bon de l’Abitibi ? Encore heureux qu’il ne fut pas de Montréal. Bien qu’à Montréal, justement, on a eu l’impression qu’il était venue pour faire de l’ombre à Mgr Turcotte. Le très médiatique Mgr Turcotte, un excellent communicateur et vulgarisateur, toujours à l’écoute de la population et des médias, l’homme de tous les débats, toujours présent sur les plateaux de télévision pour expliquer la position de l’Église, un médiateur également qui avec sa chronique dans la Presse, savait rapprocher l’Église des gens. Mgr Ouellet a tenté le coup dans le Soleil, sa chronique ne dura pas, victime de l’incompréhension générale. J’avoue avoir partagé ce sentiment. Toute croyante et pratiquante que j’étais et que je suis toujours, je voyais en Mgr Turcotte « un sauveur » qui allait ramener mes contemporains. Mgr Ouellet semblait détruire ce rêve en rompant de nouveau la communication entre le monde et l’Église. C’était sans compter que Mgr Turcotte, aujourd’hui archevêque émérite de Montréal, avait justement déjà l’âge de la retraite et c’était sans doute oublier également les éternelles querelles de clochers entre la capitale et la métropole (que peut-il sortir de bon de Québec ?). Au final, c’était plutôt une très grande incompréhension entre lui et ce Québec qu’il ne reconnaissait plus

Malgré tout, acculé au bord du gouffre, Mgr Ouellet a marché au milieu de ceux qui voulaient l’y précipiter (ref. aucun prophète n’est bien accueillit dans son pays, Luc 4, 21-30). À ceux qui lui demandait ce dont le prochain évêque de Québec aurait besoin, il répondit la foi, provoquant ainsi l’ire générale. Il a marché tellement loin et en gardant la tête haute, qu’aujourd’hui, il est aux portes du vatican.

Si l’on regarde plus profondément ce que l’on reproche à Mgr Ouellet, c’est cette affirmation qui ressors sans cesse, ce non à l’avortement même en cas de viol. Même vous, Madame Marois, première femme à la tête du Québec, qui affirmez pourtant que vous irez directement au Vatican féliciter Marc Ouellet s’il devenait pape, même vous, ne pouvez pas lui pardonner.

Sur ce point, je voudrais répondre à Patrick Lagacé qui traite sa collègue Céline Galipeau de mièvre et la targue de ne pas savoir faire du journalisme car elle n’a pas abordé ces sujets épineux avec le cardinal Ouellet. Cher Monsieur Lagacé, vous pouvez me traiter d’obscurantiste et d’extrémiste, vous pouvez même me traiter de misogyne, si vous arrivez à penser qu’une femme puisse l’être, mais vous préfèrerez sans doute me traiter d’intello vivant complètement dans sa bulle hors du monde, comme d’autant se sont déjà permis de le faire. Je suis une femme. Je viens de compléter un doctorat. Je parle 3 langues et avec un petit effort je pourrais en parler 5. J’incarne en quelque sorte l’image de la libération de la femme. Pourtant, je suis contre l’avortement, même en cas de viol. L’avortement doit être pratiqué de manière légale dans nos hôpitaux, mais précisément pour ce qu’un hôpital est sensé faire : prodiguer des soins. L’hôpital doit être un lieux où une femme qui envisage l’avortement puisse parler librement et recevoir le soutien psychologique, social et matériel pour l’accompagner dans sa décision. Parce que l’avortement n’est jamais une décision à prendre à la légère. Toute femme ayant déjà eu une grossesse pourra vous le dire, (n’en étant pas, je me réfère à celles que j’ai connue) à moins de problèmes psychologiques tel le dénie de grossesse, peu importe les convictions de la personne, aucune femme ne peut prétendre ne pas savoir qu’une vie a commencée en elle. Ainsi donc, la décision est belle et bien celle d’arrêter ou non une vie et cette décision aura toujours un jour ou l’autre des conséquences psychologiques sur la personne qui doit la prendre. Les soignants doivent donc être là pour détecter et traiter toutes peurs ou contraintes qui influenceraient le choix de la personne. Et si malgré tout le choix est de mettre fin à cette vie, la personne ayant pris cette décision doit continuer d’être accompagnée, les statistiques montrant que les femmes qui avortent, seront plus à même d’avorter de nouveau que le reste de la population et auront ensuite recours à la procréation assistée lorsqu’elles voudront avoir un enfant. En cas de viol, l’impact psychologique du viol est déjà assez grand sur la personne sans en plus ajouter celui de l’avortement. Le combat est donc celui de l’éducation et de la prévention afin d’éviter la banalisation de cet acte. Vouloir interdire l’avortement à notre époque serait ce mettre la tête dans le sable et ouvrir la porte à des réseaux souterrains où nous serions coupable de faire 2 victimes : l’enfant à naître et la mère puisque illégal rime avec secret et le secret implique qu’on laisse une personne seule avec une souffrance à porter. Alors, non, l’avortement n’est pas un progrès pour la femme.

Je ne suis pas certaine de souhaiter que Marc Ouellet devienne Pape. Mais pour des raisons bien personnelles, n’ayant rien à voir avec son aptitude à la tâche dont je ne saurais juger. Soudainement, l’Église deviendrait tellement près que je ne suis pas certaine que je pourrais encore respirer et paradoxalement, le Québec me semblerait tellement loin que j’aurais encore plus de mal à lui pardonner.

Mais le Québec n’a pas fini de vivre sa crise d’adolescence d’une laïcité de l’état née seulement dans les années 1970 et pas encore complètement bien définie. Il vomit encore ses souffrances de la période de la grande noirceur, d’abus de pouvoir et de jeux politiques, de politiques d’assimilation des pensionnats amérindiens pour lesquels le grand pardon a été signé en 2008 et de scandales de pédophilie qui n’en finissent plus de rejaillir. Il oublie que c’est sa mère, l’Église qu’il l’a fondé, l’a soigné et l’a éduqué depuis les débuts de la colonie jusqu’aux années 1970 avec les moyens du bord et ce parfois même envers et contre tous comme lors du passage aux mains des britanniques où la religion catholique a été interdite pendant 10 ans. Il oublie que plusieurs de ses héros sont des femmes et des saintes tel que Marguerite Bourgeois, co-fondatrice de Montréal avec le sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance. Le Québec oublie que si l’Église catholique n’avait pas été là pour défendre la culture francophone, il serait seulement une province canadienne comme les autres. Le Québec a choisi comme devise « je me souviens » peut être justement car il était au courant de sa tendance amnésique. Portant, comme le journaliste Stéphane Laporte le dit, « vous aurez beau enlever tous les crucifix des murs, j’ai bien peur que tout ce qu’il restera sera le trou laissé par le clou ». C’est peut être un de ces crucifix que j’ai retrouvé par terre et qui demeure maintenant dans ma poche. Des projets tel que l’Heureux naufrage nous aideront peut être à soigner les blessures et à faire la paix avec nos racines et notre culture.

Pourtant, même le Québec moderne aurait des choses à dire au monde. Lorsqu’en 15 minutes de marche on peut croiser la cathédrale catholique Marie-Reine-du-Monde, la cathédrale anglicane Christ Church et l’église protestante St-James de l’église Unie du Canada, c’est que dire que l’œcuménisme est une réalité de tous les jours. Le Québec, en sa qualité de terre promise et de terre d’ailleurs de toutes les nationalités du monde est également bien au fait également de l’inter-culturel et de l’inter-religieux. Le Québec est en lui même un lien avec l’ancien continent et une ouverture sur le monde.

Références :

(1) Adventure or Cautious Mediocrity? par Marcellino D’Ambrosio, Ph.D.
(2) Mgr Ouellet: l’improbable route de La Motte à Rome par François Bourque
(3) Le village natal de Mgr Ouellet se prépare pour une invasion de journalistes par Andy Blatchford
(4) Une patinoire sacrée? Ici, Marc Ouellet s’est fracturé une jambe… par Andy Blatchford
(5) Marc Ouellet: le soldat de la foi par Katia Gagnon, Mathieu Perreault, Mali Ilse Paquin
(6) La famille de Marc Ouellet préfère un vrai frère par Andy Blatchford
(7) L’erreur Boréale, un film de Richard Desjardins et Robert Monderie
(8) Visite au pays de Marc Ouellet par François Bourque
(9) «Ça me fait peur pour lui», confie l’ex-assistant du cardinal Ouellet par François Bourque
(10) Le chemin de croix de Mgr Ouellet à Québec par François Bourque
(11) Marc Ouellet: «Plus conservateur qu’on ne le souhaiterait», dit Marois par Philippe Teisceira-Lessard
(12) La génuflexion de Céline Galipeau par Patrick Lagacé
(13) Religion catholique: les Québécois indifférents par Mathieu Perreault
(14) L’heureux Naufrage, un projet de Guilaumme Tremblay

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